Manuel Domingos Francisco est un homme dur au mal. Carcasse façonnée à la peine, visage modelé à la sueur, son corps se lit comme un parchemin vieux de 90 ans. Il raconte une vie de labeur jusque dans ses mains qui semblent l'embarrasser quand elles sont inoccupées. Sa biographie ne fait que confirmer cette impression. Elle est l'histoire mille fois répétée d'un pauvre gars parti un jour du Portugal pour gagner sa croûte en France. Une mélopée lusitanienne, une rengaine presque banale, faite de travail, d'humilité, de droiture, mais si belle finalement dans cette simplicité qu'elle en devient aristocratique. Honneur et huile de coude, comme une devise. Une noblesse d'immigré, en somme.
Ce fils de paysan, né à Alcaria do Coelho, un village du sud du Portugal, a débarqué au début des années 1960, avec une valise et des bras solides pour la porter. Dans son pays, il avait entamé des études mais n'avait pas eu les moyens de payer la somme exigée par l'examinateur pour lui décerner son diplôme de comptable. Vie dans l'impasse là-bas, il a fait le grand saut jusqu'ici. Il a été ouvrier agricole, trimant qu'il vente ou qu'il pleuve, dans les champs de betteraves de l'Aisne ou de l'Eure. Puis il a été embauché en 1964 dans l'usine Le Creuset, à Fresnoy-le-Grand (Aisne). Il a alors manié à l'année la lourde fonte émaillée. Aujourd'hui, il n'a pas volé sa retraite. Il ne le dira pas. Parce qu'il est discret, pudique, et aussi parce que le français est bien la seule petite manie locale qu'il n'a pas vraiment réussi à attraper après toutes ces années.
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